Cette section propose d'explorer les enseignements de l'usages des données au service de la transition écologique. Certains enseignements sont repris des expérimentations menées en 2023 par la Banque des Territoires et OpenDataFrance (voir ).
Souvent questionnée, la réutilisation des données par les collectivités est une réalité incontestable. Notre dossier Data Impact, confirmé par beaucoup d’autres rapports, en apporte le témoignage. Pourquoi est-il toujours nécessaire d’en faire la preuve ? D’abord parce que les réutilisations sont souvent intégrées dans les pratiques courantes sans prise de conscience que tel ou tel service n’est possible que grâce à des données publiées par les collectivités : c’est le cas par exemple des systèmes de navigation GPS (données de la Base adresse ou de Transport : vitesse, réglementation, transport en commun, cyclabilité, etc.). Les réutilisations les plus pertinentes sont aussi portées par des acteurs ayant trouvé un modèle économique pérenne, qu’ils soient de grands opérateurs de l'État ou des entreprises privées nationales ou internationales. Elles sont pleinement intégrées dans leurs métiers sans mention spéciale d’un cas de “réutilisation open data”. Il n’en demeure pas moins que les données sont issues des collectivités et que les usages s’adressent souvent aux collectivités et à leurs habitants.
La barrière à l’innovation avantage enfin les métropoles et intercommunalités importantes. Et c’est prioritairement dans ces territoires, couvrant un nombre important d’habitants, que se déploient nombre de services basés sur les données (les bien connus programmes de type « SmartCity ») grâce à des moyens financiers et humains conséquents. Dans ces territoires donc, les usages de la donnée sont nombreux et facilement identifiables, contrairement aux plus petits territoires urbains ou ruraux.
Les enjeux environnementaux sont au premier rang des attentes sociales et des agendas politiques. Que ce soit dans le champ de l’aménagement, des mobilités, du climat, de la biodiversité ou de l’énergie, les besoins de connaissance, de mesure et de pilotage sont immenses. Les données disponibles pour y répondre sont tout aussi gigantesques. Pour faire face à ces défis, la force publique multiplie des obligations réglementaires qu’elle accompagne de dispositifs très importants de soutien en ingénierie et en financement.
Les services, précisément objets de ce dossier Data Impact, sont nombreux et portés par une grande diversité d’acteurs : communes, intercommunalités, départements, régions, services déconcentrés de l'État, opérateurs publics, start-up et entreprises. Il est probable qu’une analyse selon d’autres thématiques (santé, économie, société) donnerait d’autres nombreux cas d’usage.
Bien que de grands progrès soient faits dans la mise à disposition de données de qualité, les collectivités souffrent encore d’un accès encore restreint à de nombreuses données en open data. Et lorsque les données sont accessibles, souvent via des plateformes intermédiaires (concentrateurs tels que les Points d’Accès Nationaux), les services de mise à disposition ne répondent pas toujours aux besoins spécifiques des collectivités. Les grands opérateurs publics ont à ce sujet engagé depuis des mois des réflexions poussées pour améliorer le design et l’appropriation de leurs services par les usagers finaux (labs de l’IGN ou du ministère de la transition écologique par ex.). Lorsque les collectivités prennent l’initiative de développer de leur propre chef des services, elles doivent mobiliser des compétences techniques et des budgets significatifs. Pour répondre à ces besoins, de grands programmes nationaux adressent la formation des agents à la donnée et le soutien financier aux projets innovants, il est nécessaire de les poursuivre. Dernier écueil, de nombreux projets, vraiment intéressants, naissent dans un contexte d’innovation agile mais ne bénéficient pas toujours des conditions leur permettant de se maintenir dans la durée ou de passer à l’échelle au niveau national. Ils disparaissent alors de la carte malgré leur pertinence. La spécificité de chaque territoire est naturellement un autre frein pour la généralisation, il doit être possible de concevoir des services communs, suffisamment riches pour chaque territoire et adaptés à leur compétences propres.
Les réussites, les défis et les difficultés rencontrés dans cette analyse de la réutilisation des données racontent une histoire maintenant bien connue à laquelle les acteurs publics, conscients des forces et des faiblesses, apportent progressivement des réponses adaptées. Les plateformes de services, opérées au niveau national, proposent de plus en plus souvent des offres immédiatement accessibles sur l’ensemble du territoire national. Elles s’adressent autant aux collectivités locales qu’à des services déconcentrés de l'État ou organismes para-public. Cette continuité géographique se double d’une continuité « temporelle » dans le sens où ces services sont portés par des acteurs qui garantissent la pérennité de tels services, au sein de missions assumées et financées. La concentration au niveau national nécessite l’interopérabilité des données et des régimes réglementaires unifiés (standards et licences par exemple). C’est une charge supplémentaire pour les collectivités qui est compensée par l’avantage immédiat d’un accès à des services de qualité gratuits.
Lorsque les usages émergent à l’occasion d’expérimentations soutenues par de grands programmes nationaux, les conditions de leur passage à l’échelle sont couramment intégrées aux critères de sélection : données publiques, logiciels open source, documentation ouverte, gouvernance garante de la viabilité des projets dans le temps (par exemple, appel à projets Territoire Intelligent et Durable).
Enfin, l'Intelligence Artificielle est de plus en plus souvent mobilisée pour produire de nouvelles données et effectuer des analyses et des simulations très avancées. Les acteurs publics prennent conscience à cette occasion des risques liés à ces nouveaux traitements (et aux nouveaux acteurs) et s’organisent pour mettre en place des outils assurant leur souveraineté.
Nous avons pu témoigner dans ce dossier de la puissante dynamique d’innovation répondant à des enjeux territoriaux et environnementaux. Elle s’appuie sur des gisements de données exceptionnels et sur une multitude d’acteurs. Les nombreux exemples de réussite que nous avons développés montrent qu’il est possible de dépasser les difficultés. Mais, malgré la structuration progressive de l’écosystème, des contraintes subsistent. Pour poursuivre et transformer le succès de la réutilisation des données, il nous semble indispensable de construire une réelle gouvernance nationale associant aux côtés de l’Etat et des opérateurs nationaux les collectivités locales et les acteurs de la société civile (entreprises, associations, chercheurs). Cette réflexion est déjà entamée depuis plusieurs années. Les travaux France Nation Verte, engagés début 2023, ont accéléré cette prise de conscience dans le champ de la transition écologique avec le positionnement de grands acteurs comme l’IGN et le CNIG. Le rapport commandé par le ministre de la Transformation et de la Fonction Publiques sur la réutilisation des données dans les collectivités fixe aussi des exigences et ouvre des horizons qui participeront sans nul doute à l’avènement d’une gouvernance réellement efficace et partagée, soucieuse de la production et de la valorisation de communs numériques au service des grands enjeux de notre société.
L’analyse de l’utilisation des données publiques dans les territoires depuis près de 10 ans nous permet de mesurer toute la créativité et la traduction opérationnelle de politiques publiques ambitieuses dans les territoires. Autrement dit, les cas d’usage sont vraiment nombreux et de nature très différentes. OpenDataFrance a présenté ici une nouvelle collection d’usages au service de la transition environnementale. Il en existe bien entendu beaucoup d’autres dans ce champ et de multiples productions portées par différents acteurs, de l'État ou d’organismes proches des collectivités, valorisent ici ou là des projets aussi exemplaires dans d’autres domaines.
À ce stade, la question qui se pose est la pérennité et la “factorisation” de tels projets, souvent menés comme des expérimentations ou des services locaux. S’il est naturel d’accepter que certains projets ne dépassent pas le cadre d’un pilote ou ne peuvent pas survivre en raison de changement de stratégie ou de moyen d’intervention, il est important de souligner que la pérennité et la généralisation d’un projet ne dépend pas du hasard. Des conditions préalables de conception, les plateformes de services utilisées et des dispositifs d’accompagnement dédiés peuvent les aider à trouver une pérennité garantie ou une réplicabilité aisée.
L’innovation est fortement soutenue par une multiplicité de dispositifs d’accélération (AAP, guichets et plateformes d’innovation, etc.), portés par de très nombreux acteurs institutionnels. Mais les dispositifs de capitalisation et de généralisation sont beaucoup moins nombreux. On pourra remarquer que l’effet waouh est moins souvent au rendez-vous dans ces cas-là mais à l’heure de la réduction des marges de manœuvre et aux urgences de réponse aux défis écologiques et sociaux, les collectivités auraient beaucoup à gagner en capitalisant sur des projets existants et robustes.
Il existe naturellement de nombreuses initiatives permettant cela : Libriciel par rend possible la réutilisation de logiciels dédiées aux collectivités en open source, de récent Appel à Projet ont inscrit la réutilisation comme critère de choix de candidats (AAP TID de la banque des Territoires), nombreux sont les projets déposés en open source sur des plateformes gratuites par les collectivités elles-même, etc. On connaît déjà quelques critères pour favoriser cette généralisation : documentation complète du projet (fonctionnel et technique), développement avec des outils courants du marché favorisant l’open source, utilisation de données publiées localement ou disponibles à l’échelle supérieure en open data, implémentation sur des plateformes de services en ligne (SaaS) quand c’est possible, dispositif de communication pour faire connaître et aider les réutilisateurs potentiels. Cela pourrait donner lieu à un guide de recommandation plus précis.
Mais notre appel consiste à demander ici aux structures qui soutiennent l’innovation de s'intéresser aux conditions de pérennisation et de généralisation : fixer des critères de réutilisation dans le financement de projets innovants, soutenir l’émergence de plateformes de service nationales et en stimuler la réutilisation et la généralisation des meilleurs cas d’usage par des dispositifs et de budgets ad hoc.
Nous présentons à travers ce programme la façon dont les collectivités (ou acteurs territoriaux) se sont emparées des données publiques pour enrichir et optimiser les services publics. Il nous semble utile de tirer ici quelques leçons des projets menés par ces collectivités
(signalons que ces enseignements avaient été soulignés lors des expérimentations Action Coeur de Ville Data, ils sont içi généralisés à champ beaucoup plus vaste
Signalons que ces enseignements avaient été déjà développés lors des expérimentations Action Coeur de Ville Data, ils sont ici généralisés au champ plus vaste des cas d'usages de la donnée sur l'ensemble du territoire français.
Les politiques de transition environnementale sont nombreuses et variées et concernent de multiples services (espaces verts, urbanisme, logement, mobilités, gestion des réseaux, etc.). Pour mener de tels projets, une problématique et apparue : les équipes doivent regrouper de plusieurs services, des partenaires externes, parfois spécialistes uniquement de la donnée, parfois de la transition environnementale sur telles thématiques, rarement les deux compétences métiers ET data. Alors que la constitution de binômes métiers / data relève déjà d’un exercice fragile (vocabulaire, compétences spécifiques, feuille de route, coordination projet inter-service, portage politique), les projets de transition environnementale réunissent encore davantage d’acteurs. La gouvernance de ces projets pour faire coopérer des acteurs ayant des cultures et des compétences assez différentes est donc un enjeu majeur à anticiper.
Les politiques de transition environnementale, transverses par excellence, supposent que les compétences et l’exploitation des données se fassent nécessairement à plusieurs échelons administratifs (commune, intercommunalité, départements, régions et services déconcentrés de l’État). À défaut d’une parfaite collaboration entre les échelons, les données produites et réutilisées par chacun d’entre eux doivent pouvoir être facilement accessibles, de préférence en open data ou dans des cercles de confiance ouverts. Force est de constater que ce n’est pas encore le cas partout. Lors de la mise en œuvre des projets liant data et enjeux écologiques, des obstacles peuvent apparaître en raison du manque de moyens techniques et humains des communes et de données vraiment accessibles (absence d’inventaire data réalisé en amont, difficulté d’acquisition des bons logiciels, manque de compétences en interne). Malgré l’obligation légale d’ouverture des données promue par la loi République Numérique dès 2016, l’open data n’est pas toujours un réflexe : pas de données, pas de services pertinents. Il est donc indispensable que toutes les collectivités publiques publient systématiquement les données qu’elles produisent et qu’elles insistent auprès des autres acteurs publics pour que leurs données soient aussi librement accessibles et de qualité.
Les services métiers sont souvent dépendants de l’expertise technique data d’un service spécialisé (Direction des Services Informatiques, service SIG ou autre). À l'exception de pratiques métiers très spécialisées, les services expriment, de façon systématique, le besoin de monter en compétences pour collecter, manipuler et valoriser des données, internes ou externes. Dans ce sens, la formation des agents territoriaux à la donnée se révèle aujourd’hui essentielle.
La plupart des porteurs de projet font part de la complexité, et souvent de la non-pertinence, des masses gigantesques de données issues des différentes sources disponibles. Souvent pensées dans une approche strictement “producteurs” et pour des cercles fermés de réutilisateurs, les données ne sont pas Faciles à trouver. Elles ne sont pas souvent librement Accessibles (contrôle d’accès ou visualisation sans téléchargement possible). Elles sont difficilement exploitables par manque d’Interopérabilité (des référentiels techniques, temporels et spatiaux inadaptés ou incompatibles). Enfin, elles ne sont pas pensées pour leurs futures Réutilisations (interface technique complexe, peu adaptée à l’usage réel des collectivités). Ces principes pour une bonne réutilisation des données publiques, connus sous le terme “FAIR data” ne sont pas assez pris en compte par les producteurs de données publiques.
Face à la complexité croissante de la réglementation, la diversité des acteurs et des jeux et formats de données, il est indispensable de disposer d’un vocabulaire data et d’indicateurs communs. Au regard de la multiplicité des indicateurs de la transition environnementale, les collectivités locales doivent aujourd’hui prioriser leurs objectifs. Cette priorisation se réalisera en fonction de la réalité de leur territoire, le but principal étant d’aboutir à des projets pérennes. Aussi, le principal enjeu pour les porteurs de projet réside dans la mobilisation des ressources dans la durée (compétences, partenaires et budget). Un portage politique fort s’avère donc essentiel. Il s’agit de privilégier le long-terme, en se focalisant sur une phase de conception (d’une action ou solution étudiée) suffisamment solide pour bien intégrer l’ensemble des acteurs concernés. Pour cela, des alliances et coalitions d’acteurs territoriaux sont à construire, s’appuyant notamment sur les membres de la société civile.
Si l'Intelligence Artificielle a fait irruption dans le débat public début 2023 avec des moteurs grand public (ChatPGT, OpenIA, ..), il ne faut pas oublier que l’IA est utilisée depuis des décennies dans le monde professionnel (industries, recherche, défense, etc.). Depuis longtemps des algorithmes puissants permettent la production de connaissance et des simulations dans le monde cartographique ou météorologique. Il est vrai cependant que des progrès très importants ont été faits ces dernières années dans les traitements profonds (deep learning et IA générative) s’appliquant à de grands gisements hétérogènes de données (Datalake). Ces outils s’introduisent progressivement dans les pratiques des acteurs publics pour produire massivement des données, les corriger, les enrichir d’une part, exploiter ces nouvelles connaissances pour comprendre et anticiper des phénomènes complexes d’autre part. Que se soit l’exploitation d’images, l’analyse de bases de données documentaires, la corrélation entre différentes sources, la généralisation de l’utilisation de l’IA change radicalement la puissance des traitements. On verra dans ce dossier les cas de la modélisation de situations dues aux changements climatiques, l’observation de l’artificialisation des sols, l’évaluation des potentiels énergétiques de bâtiments, la planification des mobilités, etc. Parce que de grands acteurs internationaux ont pris une avance sur ces outils, les collectivités qui utilisent l’IA doivent préserver leur souveraineté en s’assurant de la maîtrise des traitements et des données générées, et du respect des réglementations (données à caractère personnel, licences, protection de la vie privée, charte éthique locale).. Des entreprises françaises, citées dans ce rapport, sont automnes et proposent des services très convaincants qui utilisent l’IA. L’Etat et les collectivités anticipent cette exploitation massive en développant des outils souverains et en mettant en place des gardes-fous.
Malgré les difficultés évoquées ci-dessus, il est notable de constater la volonté de nombreux acteurs territoriaux, leur inventivité, leur courage parfois. Ils, souvent elles, ne lâchent rien, cherchent des solutions, demandent de l’aide, souhaitent partager leurs progrès. Un tel enthousiasme doit inciter les organismes qui en ont la compétence, à l’échelle locale ou nationale, à mieux accompagner et mieux outiller les villes, en particulier celles de taille intermédiaire qui ont des obligations et peu de moyens.