Souvent questionnée, la réutilisation des données par les collectivités est une réalité incontestable. Notre dossier Data Impact, confirmé par beaucoup d’autres rapports, en apporte le témoignage. Pourquoi est-il toujours nécessaire d’en faire la preuve ? D’abord parce que les réutilisations sont souvent intégrées dans les pratiques courantes sans prise de conscience que tel ou tel service n’est possible que grâce à des données publiées par les collectivités : c’est le cas par exemple des systèmes de navigation GPS (données de la Base adresse ou de Transport : vitesse, réglementation, transport en commun, cyclabilité, etc.). Les réutilisations les plus pertinentes sont aussi portées par des acteurs ayant trouvé un modèle économique pérenne, qu’ils soient de grands opérateurs de l'État ou des entreprises privées nationales ou internationales. Elles sont pleinement intégrées dans leurs métiers sans mention spéciale d’un cas de “réutilisation open data”. Il n’en demeure pas moins que les données sont issues des collectivités et que les usages s’adressent souvent aux collectivités et à leurs habitants.
La barrière à l’innovation avantage enfin les métropoles et intercommunalités importantes. Et c’est prioritairement dans ces territoires, couvrant un nombre important d’habitants, que se déploient nombre de services basés sur les données (les bien connus programmes de type « SmartCity ») grâce à des moyens financiers et humains conséquents. Dans ces territoires donc, les usages de la donnée sont nombreux et facilement identifiables, contrairement aux plus petits territoires urbains ou ruraux.
Les enjeux environnementaux sont au premier rang des attentes sociales et des agendas politiques. Que ce soit dans le champ de l’aménagement, des mobilités, du climat, de la biodiversité ou de l’énergie, les besoins de connaissance, de mesure et de pilotage sont immenses. Les données disponibles pour y répondre sont tout aussi gigantesques. Pour faire face à ces défis, la force publique multiplie des obligations réglementaires qu’elle accompagne de dispositifs très importants de soutien en ingénierie et en financement.
Les services, précisément objets de ce dossier Data Impact, sont nombreux et portés par une grande diversité d’acteurs : communes, intercommunalités, départements, régions, services déconcentrés de l'État, opérateurs publics, start-up et entreprises. Il est probable qu’une analyse selon d’autres thématiques (santé, économie, société) donnerait d’autres nombreux cas d’usage.
Bien que de grands progrès soient faits dans la mise à disposition de données de qualité, les collectivités souffrent encore d’un accès encore restreint à de nombreuses données en open data. Et lorsque les données sont accessibles, souvent via des plateformes intermédiaires (concentrateurs tels que les Points d’Accès Nationaux), les services de mise à disposition ne répondent pas toujours aux besoins spécifiques des collectivités. Les grands opérateurs publics ont à ce sujet engagé depuis des mois des réflexions poussées pour améliorer le design et l’appropriation de leurs services par les usagers finaux (labs de l’IGN ou du ministère de la transition écologique par ex.). Lorsque les collectivités prennent l’initiative de développer de leur propre chef des services, elles doivent mobiliser des compétences techniques et des budgets significatifs. Pour répondre à ces besoins, de grands programmes nationaux adressent la formation des agents à la donnée et le soutien financier aux projets innovants, il est nécessaire de les poursuivre. Dernier écueil, de nombreux projets, vraiment intéressants, naissent dans un contexte d’innovation agile mais ne bénéficient pas toujours des conditions leur permettant de se maintenir dans la durée ou de passer à l’échelle au niveau national. Ils disparaissent alors de la carte malgré leur pertinence. La spécificité de chaque territoire est naturellement un autre frein pour la généralisation, il doit être possible de concevoir des services communs, suffisamment riches pour chaque territoire et adaptés à leur compétences propres.
Les réussites, les défis et les difficultés rencontrés dans cette analyse de la réutilisation des données racontent une histoire maintenant bien connue à laquelle les acteurs publics, conscients des forces et des faiblesses, apportent progressivement des réponses adaptées. Les plateformes de services, opérées au niveau national, proposent de plus en plus souvent des offres immédiatement accessibles sur l’ensemble du territoire national. Elles s’adressent autant aux collectivités locales qu’à des services déconcentrés de l'État ou organismes para-public. Cette continuité géographique se double d’une continuité « temporelle » dans le sens où ces services sont portés par des acteurs qui garantissent la pérennité de tels services, au sein de missions assumées et financées. La concentration au niveau national nécessite l’interopérabilité des données et des régimes réglementaires unifiés (standards et licences par exemple). C’est une charge supplémentaire pour les collectivités qui est compensée par l’avantage immédiat d’un accès à des services de qualité gratuits.
Lorsque les usages émergent à l’occasion d’expérimentations soutenues par de grands programmes nationaux, les conditions de leur passage à l’échelle sont couramment intégrées aux critères de sélection : données publiques, logiciels open source, documentation ouverte, gouvernance garante de la viabilité des projets dans le temps (par exemple, appel à projets Territoire Intelligent et Durable).
Enfin, l'Intelligence Artificielle est de plus en plus souvent mobilisée pour produire de nouvelles données et effectuer des analyses et des simulations très avancées. Les acteurs publics prennent conscience à cette occasion des risques liés à ces nouveaux traitements (et aux nouveaux acteurs) et s’organisent pour mettre en place des outils assurant leur souveraineté.
Nous avons pu témoigner dans ce dossier de la puissante dynamique d’innovation répondant à des enjeux territoriaux et environnementaux. Elle s’appuie sur des gisements de données exceptionnels et sur une multitude d’acteurs. Les nombreux exemples de réussite que nous avons développés montrent qu’il est possible de dépasser les difficultés. Mais, malgré la structuration progressive de l’écosystème, des contraintes subsistent. Pour poursuivre et transformer le succès de la réutilisation des données, il nous semble indispensable de construire une réelle gouvernance nationale associant aux côtés de l’Etat et des opérateurs nationaux les collectivités locales et les acteurs de la société civile (entreprises, associations, chercheurs). Cette réflexion est déjà entamée depuis plusieurs années. Les travaux France Nation Verte, engagés début 2023, ont accéléré cette prise de conscience dans le champ de la transition écologique avec le positionnement de grands acteurs comme l’IGN et le CNIG. Le rapport commandé par le ministre de la Transformation et de la Fonction Publiques sur la réutilisation des données dans les collectivités fixe aussi des exigences et ouvre des horizons qui participeront sans nul doute à l’avènement d’une gouvernance réellement efficace et partagée, soucieuse de la production et de la valorisation de communs numériques au service des grands enjeux de notre société.